Les patriarches by Anne Berest

Les patriarches by Anne Berest

Auteur:Anne Berest [Berest, Anne]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782246800842
Éditeur: Éd. Grasset
Publié: 2012-08-21T22:00:00+00:00


Ils recommencèrent le lendemain, épuisés. Il ne devait pas être loin de sept heures du soir. L’après-midi avait filé quelque part. Mais ils ne savaient pas où. Ils ressentaient tous les deux le besoin de se retrouver seuls loin l’un de l’autre. Un écœurement de fatigue, de cigarettes, de café et de paroles. Silencieusement, Denise prit toutes ses cassettes, les rangea dans son sac.

En sortant de chez Gérard, elle n’avait pas le courage de prendre le métro, à cause de la chaleur. Elle attendit longtemps un bus, abrutie par la journée qu’elle venait de passer, sans réfléchir. Juste respirer, avaler sa salive, sentir le sang battre dans les veines et attendre. Ne plus penser à Gérard. Tous ces noms qu’elle ne connaissait pas, tous ces gens qu’elle ne rencontrerait jamais. Calée contre la vitre, elle repensait aux vacances qu’elle passait à Paris pour voir son père, après le départ de Matilda à Périgueux. Ce n’était jamais l’été non, mais souvent au printemps et pour les vacances de la Toussaint. C’était la fin des années quatre-vingt, ils montaient sur les promontoires arrière des bus, pour aller flâner sur la petite ceinture, remonter les rails de train couverts d’herbes. Un après-midi, ils avaient doublé Jean Marais, dans une 504 bleu ciel boulevard de Sébastopol, le même jour où Klein avait demandé si on vendait de la drogue au drugstore, parce que c’était normal de poser cette question-là. Avec les amis de Nick, ils allaient souvent au cinéma Le Denfert, voir des films en version originale, Denise se souvenait de l’œil ouvert d’Ivan le terrible, et de la ruse du renard d’Alexandre Nevski. Nick aimait aussi le théâtre « en matinée » – alors que c’était l’après-midi –, il avait emmené les enfants voir Michel Bouquet dans L’Avare. Ils s’étaient habillés pour l’occasion. Au goûter, Nick faisait « classe », et donnait de grands préceptes pour la vie. Se méfier de l’ennui. Savoir reconnaître si une femme a de belles jambes, aux trois creux : cheville, tibia, genou. Ne pas faire pipi dans les sanisettes Decaux, préférer se cacher entre deux voitures. Avec Patrice, ils aimaient se rendre à la serre tropicale du Jardin des Plantes, mais n’allèrent plus jamais au zoo de Vincennes, car Klein avait été déçu par les loups qui ressemblent à des chiens tristes. Patrice emmenait les enfants scruter les squelettes dans les vitrines de la rue de l’Ecole-de-Médecine, avant de manger des strudels à la pâtisserie viennoise. Au moins une fois par an, ils allaient sur la tombe de Jim Morrison, parce qu’un copain de Nick l’avait soi-disant connu. Il leur avait appris la chanson de Mary Poppins, « C’est le morceau de sucre qui aide la médecine à couler ». Ce même copain les avait invités à déjeuner dans une voiture du Pub Renault des Champs-Elysées, le jour où ils croisèrent Yves Montand devant le Louvre en imperméable, comme sur sa pochette de disque. Denise pensait alors que cette vie-là durerait pour toujours. Elle croyait que c’était cela, le monde que lui construisaient Patrice, Matilda, Nick et tous les autres.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.